Bonjour à toutes et à tous
Que vous soyez médecin, praticien, chercheurs, patients, décideurs, vous pourrez être sollicité pour rédiger des recommandations de bonnes pratiques cliniques.
Aujourd’hui nous allons voir quelle méthodologie il vous faudra suivre pour les réussir. J’ai le plaisir d’accueillir pour ce faire Dr Nelly Ziadé, Rhumatologue et Epidémiologiste qui va partager avec nous son expérience.
Vous pourrez retrouver la vidéo de cet entretien sur la chaîne
1. Quels sont les ingrédients nécessaires pour faire des recommandations scientifiques en pratique ?
Avant tout, il faut partir d’un besoin ressenti sur un sujet pratique particulier.
En prenant l’exemple de TIROL, les études menées sous l’égide de l’ArLAR en 2020 afin d’identifier l’impact de la pandémie COIVD-19 sur les patients qui ont des maladies rhumatismales chroniques et sur les rhumatologues, ont pu dégager un vrai besoin de pouvoir utiliser la télémédecine, qui contrastait avec un manque de cadre adéquat. Donc les patients avaient besoin de rester en contact avec leur médecin tout en respectant les mesures de distanciation sociale et les médecins se sentaient mal à l’aise quant à l’application de télémédecine en pratique. Ils avaient besoin de guide sur comment le faire en pratique, garder une médecine de bonne qualité et surtout se sentir protégés avec un cadre légal.
D’où la naissance des recommandations TIROL .
Dans d’autres types de recommandations auxquelles j’ai participé, nous avons adapté les recommandations de l’ACR pour le traitement de la PR pour la région du Moyen-Orient. Ceci est parti d’un besoin de pouvoir appliquer des recommandations déjà présentes et très bien faites sur un contexte géographique et culturel particulier, un système de santé différent. Adaptation of the 2015 American College of Rheumatology treatment guideline for rheumatoid arthritis for the Eastern Mediterranean Region: an exemplar of the GRADE Adolopment
Enfin, en participant à des recommandations internationales de novo, comme celles sur la prise en charge des spondyloarthrites axiales, le besoin était de mettre à jour des recommandations de traitement à la lumière de résultats de nouveaux essais cliniques sur les traitements de la maladie.
2. Quelles sont les différentes recettes (méthodes) disponibles pour réussir des recommandations scientifiques en pratique ?
Il y a plusieurs cadres possibles.
Pour TIROL nous avons suivi l’instrument AGREE : Appraisal of Guidelines for Research and Evaluation et nous avons travaillé dans le cadre des standard operating procedures publiées par l’EULAR.
Avec une étudiante en médecine, nous avons commencé par recherche de la littérature. Nous avons utilisé principalement PubMed pour identifier les articles pertinents sur la télémédecine en rhumatologie mais il y avait peu d’articles, donc nous avons regardé les autres disciplines aussi.
Ensuite nous avons évalué les articles en mettant le niveau d’évidence selon la grille Oxford.
Puis un comité de pilotage composé de 7 personnes a élaboré un premier draft de recommandations. Ce draft a été revu par des avocats, le comité scientifique de l’ArLAR et une experte en télémédecine aux EU.
Finalement nous avons proposé ces recommandations à une task force composée de 18 rhumatologues membres du AAAA group, 2 rhumatologues externes, 2 patients et 2 représentants des régulateurs : assurance publique et privée. Les membres ont voté pour chaque reco de 1 à 9.
Il y a eu 3 tours de vote Delphi en utilisant une plateforme dédiée a cet effet. Les critères de passage d’un tour à l’autre étaient assez rigoureux (80% vote 7-0 pour garder sans vote additionnel, 70% pour retenir la reco au final). Ce sont en fait les critères de l’OMERACT.
Consensus Building in OMERACT: Recommendations for Use of the Delphi for Core Outcome Set Development
Il y a eu beaucoup de discussion, de reformulation. Il faut avoir en fait un bon modérateur. Après chaque tour de vote, le comité de pilotage se réunissait pour reformuler, choisir les recos déjà établies et sélectionner celles qui vont aller au tour suivant.
Finalement, nous avons retenu 4 principes généraux et 12 recommandations de bonne pratique. Nous les avons publiées comme abstract et puis comme manuscrit dans une revue internationale.
Pour l’adaptation des recommandations de l’ACR pour la PR, nous avons eu recours à un groupe externe qui utilisait la méthode GRADE (Grading of Recommendations Assessement, Development and Evaluation ). Il s’agit d’un software particulier pour mettre des scores sur les articles sélectionnés et prendre des décisions pour les recommandations finales.
Dans tous les cas, il y a un comité qui doit faire la revue de la littérature et sélectionner les articles pertinents et leur donner un score selon un certain système. Ensuite il y a un comite de pilotage -qui doit être idéalement homogène et inclure nécessairement un méthodologiste- qui va élaborer le premier draft des recommandations. Ensuite il doit y avoir une validation avec une task force plus large, composée de tous les stakeholders (parties prenantes): médecins, patients, infirmières, tiers payants, gouvernement… Tout dépend des sujets.
Une grande limitation est le budget. Faire des recommandations, ça coûte de l’argent. Pour les plateformes, les réunions, la rédaction scientifique. En même temps, cela doit être indépendant des firmes pharmaceutiques, donc forcément cela doit être financé par des sociétés savantes comme l’ArLAR, l’EULAR, l’ACR…
3. A ton avis, Comment assurer l’implémentation en pratique de ces recommandations scientifiques?
Une fois les recommandations faites, une nouvelle phase aussi importante commence : la dissémination et l’adoption des recommandations en pratique.
La première étape est de publier dans un journal scientifique reconnu.
Ensuite, on peut utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir les résultats.
Pour TIROL, nous avons créé des posts spécifiques et 2 vidéos courtes : une destinée pour les médecins et l’autre pour les patients.
De plus nous pouvons présenter les recommandations dans les différentes réunions scientifiques des sociétés savantes.
Vous pourrez retrouver la vidéo de cette entretien sur la chaîne Youtube.
N’hésitez pas à me faire part de vos remarques sur la question.
A très vite !
Ihsane