A travers cet article, je vais vous parler d’un biais souvent oublié qui est le biais du temps immortel ou biais d’immortalité. La connaissance de l’interpretation des courbes de survie est un pré-requis à la compréhension de cette lecture critique d’articles.
Type d’article: Lettre à la rédaction
Il s’agit d’un article type Lettre à la rédaction, il ne suit pas la structure de rédaction de l’article original Introducion/ Matériels et Méthodes/ Résultats et Discussion mais plustôt un condensé de ces différents élements.
Il n’a pas d’abstract, ce qui plaira à Mike Putman, qui se dit, être moralement contre la lecture du résumé 🙂 , car il fait ressortir ce qu’il y a de meilleur dans l’article en occultant les biais et limites… Bref, passons
Méthode
2773 patients COVID+ ont été hospitalisé entre le 14 mars et le 11 Avril 2020. L’effet de l’anticoagulation (AC) a été étudié par analyse de survie. La durée du traitement AC a été considéré comme variable d’ajustement, l’intubation était une variable temps-dépendante. Les auteurs ont ajustés sur l’âge, le sexe, l’ethnie, me BMI, HTA, l’atteinte cardiaque, FA, Db, la date d’admission et la prise d’AC antérieurs à l’hospitalisation.
Résultats
Quand on voit les courbes, on a l’impression que le Traitement AC améliore la survie des patients qu’ils aient été intubés ou pas.
Mais si on analyse de plus près, à partir de ces résultats, peut-on dire que la prise d’AC est clairement associée à une baisse de la mortalité dans cette population ?
4 Elements des réponses
1. Le risque thromboembolique lors de la covid est plus important que dans certaines maladies. Ainsi, les premières séries suggèrent la survenue fréquente d’une maladie thromboembolique veineuse chez les patients atteints de COVID-19 sévère. Ceci dit, vu le risque élevé des événements thromboemboliques chez ces patients, l’AC peut être systématique chez tout patient admis, notamment en USI ou en réanimation.
2. Si on revient à l’article, les auteurs précisent que la médiane de temps entre l’admission et le traitement anti-coagulant est de 2 jours.
HAHA ! Quid pour quelle raison un patient ne serait pas mis sous anticoagulant ?
3. Il s’agit d’un étude de cohorte et non pas d’un essai randomisé. Dans cette cohorte, en condition de la vraie vie, le médecin choisi ou pas de mettre un patient sous anti-coagulant selon différents critères (SaO2, Fréquence cardiaque, D-Dimères) mais aussi (âge, terrain, experience du médecin…) ce qui rend la comparaison des résultats plus compliqués. D’autant plus que dans ce papier, nous n’avons pas de tableau comparatif des 2 groupes de patients (traités et non traités) au début de l’étude.
4. Il s’agit d’une étude de cohorte, les auteurs savent ce que les patents ont reçu et non pas ce qu’ils auraient du recevoir. Je m’explique : Un patient admis à J0 et decedé à J1 sera comtabilisé dans le groupe des patients non traités et va augmenter le taux de mortalité de son groupe. Plus la maladie est grave, plus les patients risquent de pas rester en vie suffusamment longtemps pour recevoir leur traitement ; seul les « survivants », potentiellement mois graves pourront être traié. C’est le biais de l’immortalité.
Le biais de l’immortalité ou du temps immortel correspond au délai entre l’inclusion dans l’étude de cohorte et l’intervention. Ce biais augmente la survie du groupe traité parce que les patients ont survécu jusqu’au jour où ils ont reçus leur traitement.
22,5% mortalité (groupe traité) vs 22,8% mortalité (groupe non traité)/ 21 jours de médiane (groupe traité) de survie vs 14 jours (groupe non traité). Dans cette étude, le pourcentage de mortalité dans les 2 groupes est presque identique, la différence est que le décès survient 7 jours plus tard.
Une façon de corriger ce biais est de coupler les patients selon le temps qu’ils ont passé dans l’étude. Ex : Un patient inclus dans l’étude pendant 1 jour dans le groupe traité sera apparié à un autre patient ayant passé le même temps dans l’étude. Mais cela est une autre histoire…
En résumé, Pensez au biais d’immortalité chaque fois que l’intervention, ici la prise de traitement anti-coagulant, survient après un certain délai dans votre étude. L’exemple le plus célèbre est l’étude publiée en 2001 dans la revue Annals of Internal Medicine qui a suggéré que l’espérance de vie des acteurs qui reçoivent un Oscar serait de quatre ans supérieure à celle des autres acteurs. Ici, l’exposition est ici définie par le fait de recevoir un Oscar au cours de sa carrière d’acteur, et l’espérance de vie est mesurée par l’âge au décès. De ce fait, dans le groupe des acteurs oscarisés, aucun décès n’a pu survenir entre leur naissance et leur Oscar. Cette période immortelle leur donne un avantage vis-à-vis des acteurs non oscarisés.
J’espère avoir pu vous aider à desmasquer les immortels pour mieux traiter les survivants!
N’hésitez pas à me faire part de vos remarques et commentaires.
Dites moi si ce type de lecture critique d’articles vous plait et si vous souhaitez plus de post dans ce format.
A très vite
Ihsane
trés bien expliqué et dans un ton trés entrainant
bravo pour le site
Merci pour ton retour! 🙂