Vous avez sûrement entendu parler du R0, mais savez-vous à la base que c’était une histoire de moustiques et de Prix Nobel… Quelques détails s’imposent 🙂
Si je vous dit: L’indicateur qui nous renseigne sur la dynamique d’une épidémie le plus en vogue du moment? Vous dites: le R0 !
Yes, et voici sa petite histoire…
Le R0 ou taux de reproduction de base correspond à l’estimation de la moyenne du nombre de nouveaux cas entraînés par chaque cas infectieux au sein d’une population entièrement à risque.
Autrement dit, on va calculer le nombre moyen d’individus qu’une personne va infecter pour avoir une idée sur la vitesse de propagation d’une épidémie.
- Si R0 > 1, chaque individu augmente le nombre de sujets infectés de façon exponentielle, ici le risque de propagation est grand.
- Si R0 < 1, chaque individu transmet la maladie à moins d’une personne, on peut dire qu’il y a moins de chance de transmission de la maladie.
Attention: L’appelation “taux ” peut induire en erreur car il ne s’agit pas de connaître le nombre de cas infectés en une heure ou un jour…
Le R0 est un seuil.
R0 peut paraître intuitif et simple, mais en réalité , son calcul se base sur des modèles mathématiques complexes qui peuvent entraîner des erreurs d’interpretation.
Les estimations du R0 sont souvent calculées en fonction de 3 paramètres principaux
- la durée de contagiosité après qu’une personne soit infectée
- la probabilité d’infection par contact entre une personne sensible et une personne ou un agent infectieux
- le taux de contact qui dépendra de nombreux facteurs difficilement appréhendables tels que le contexte socioéconomique, la météo …
Le choix du modèle et des paramètres qu’on y introduit conditionnera le résultat du R0 .
Ainsi, selon le cas,
– des mutations peuvent survenir rendant le virus plus ou moins virulent,
– des mesures de prévention instaurées peuvent diminuer R0 , l’exemple type est la Quarantaine.
-à l’inverse des situations de regroupement peuvent l’augmenter.
On comprend ainsi qu’un individu infecté bloqué sur un bateau de croisière avec des centaines d’individus, va influencer le R0 différemment que ce même individu si il était resté chez lui …
12 équipes scientifiques ont calculé le R0 du COVID19 entre le 1er janvier 2020 et le 7 février 2020 , en utilisant différents modèles et données. Leurs résultats s’étalaient entre 1,5 et 6,68.
Ce manque de concordance serait attribué à 3 différences majeures dans le modele du calcul du R0: les variables considérées; les méthodes de modélisation et les procédures d’estimation.
Pour plus de détails, vous pouvez consultez l’article de Bauch et al. Epidemiology. 2005;16(6):791‐801.
Pour résumé, le R0 est un indicateur (parmi d’autres) qui nous renseigne sur la dynamique de l’épidémie.
Il doit être interprété avec précaution, et on comprend que plus on en a de données sur l’agent pathogène (mode de transmission, portage asymptotique, durée de portage, durée de contagiosité), meilleurs seront les modèles mathématiques proposés.
Et le Moustique?
J’y arrive
Mousquito Theorem ou le Théorème du moustique
En 1894, le Dr Ross décide de vérifier les hypothèses qui supposent que les moustiques sont les vecteurs du paludisme. Il réussira à mettre en évidence le cycle du parasite dans le moustique et obtiendra ainsi le Prix Nobel de physiologie et de médecine en 1902.
Ce n’est pas fini …
Comme le rapporte Pr Sallet, Dr Ross proposa de mettre en place une stratégie de lutte antivectorielle (de lutter contre les anophèles). Ce à quoi ses détracteurs ont répondu que, vu qu’il était impossible d’éradiquer tous les anophèles, cette stratégie était inutile et ne serait qu’un manque de temps et d’argent.
Suite à quoi, Dr Ross a développé son théorème du moustique Mousquito Theorem (ouf! on y arrive ):
- Quel que soit le nombre initial de cas de paludisme dans la localité, le rapport final de paludisme endémique tendra à se stabiliser à un niveau en fonction du nombre d’anophèles et des autres facteurs (si ces facteurs restent constants tout le temps).
- Si le nombre d’anophèles est suffisamment élevé, le ratio ultime de paludisme (m) sera fixé à un chiffre compris entre 0 et 1 (c’est-à-dire entre 0 et 100 %).
- Si le nombre d’anophèles est suffisamment faible (disons 40 % par personne), le ratio ultime de paludisme tendra vers zéro – c’est-à-dire que la maladie aura tendance à s’éteindre. (Dans ce calcul, un rapport négatif sur le paludisme, c’est-à-dire qui est moins que rien, doit être interprété comme signifiant zéro).
- Une petite modification des constantes (par exemple, le facteur anophèle) peut produire un grand changement dans la lutte contre le paludisme
Docteur Ross estimait qu’il n’était pas nécessaire d’éliminer toutes les anophèles pour éradiquer le paludisme, mais qu’il suffisait simplement de faire baisser la population en dessous d’un seuil critique. Et il avait raison!
Ainsi, Docteur Ronald Ross est le premier à avoir pensé clairement à un seuil critique influençant la propagation d’une épidémie: il a construit un modèle mathématique qui prédisait qu’en dessous d’un certain seuil critique pour la population des moustiques, le paludisme disparaîtrait de lui-même.
To say that a disease depends upon certain factors is not to say much, until we can also form an estimate as to how largely each factor influences the whole result. And the mathematical method of treatment is really nothing but the application of careful reasoning to the problem at issue.
Sir Ronald Ross (prix Nobel 1902)
C’est le début des modélisations et de l’épidémiologie mathématique…