«… Les rhumatologues utilisent la chloroquine depuis des années, et si certaines études disent vraies (Lancet), elle serait très toxique,… du coup aurons-nous encore le droit de la prescrire »? C’est ce qu’a souligné Pr Raoult durant son point info du Lundi 25 Mai. Aujourd’hui le gouvernement français a décidé que NON.
J’ai posé la question à deux éminents professeurs de rhumatologie, familiers des essais cliniques et de recherche scientifique pour avoir leur analyse critique.
Au départ, qu’es ce qui nous permet de construire notre jugement ?
L’article du Lancet a relancé de plus belle la polémique sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans le COVID19 et le poids des preuves dont on dispose pour former notre jugement.
Le jugement est subjectif basé sur le bon sens, l’expérience, et les arguments : on peut avoir soit raison soit tort.
Contrairement au raisonnement scientifique qui lui se veut objectif, basé sur une méthodologie standardisée et utilise des mesures pour conclure de façon juste ou fausse.
Cependant, tout raisonnement non accompagné de jugement risque d’entraîner une mauvaise interprétation.
J’ai exposé la problématique de l’hydroxychloroquine (HC) et du COVID19 à deux professeurs en rhumatologie rompus à la pratique de l’épidémiologie et à la prescription de la chloroquine.
Pour pouvoir juger de l’efficacité de l’hydroxychloroquine chez les patients COVID19, avons-nous besoin d’essais cliniques contrôlés randomisés (ECR) ?
NON, nous disposons de suffisamment de données pour conclure à la non efficacité de l’hydroxychloroquine dans le COVID19.
Ce qu’il est important de connaître, in fine, c’est l’efficacité “en vie réelle”, c’est à dire l’efficacité du médicament tel qu’il est prescrit dans la pratique courante… Dans une situation normale, évidemment qu’on “aurait eu besoin” d’essais cliniques randomisés pour tester l’efficacité de l’hydroxychloroquine dans le Covid-19 AVANT de commencer à la prescrire… Un médicament qui n’a pas d’efficacité dans les essais cliniques ne peut avoir d’efficacité “en vie réelle”. Un médicament qui est efficace dans les essais cliniques peut être efficace “en vie réelle”… ou pas. Mais nous ne sommes pas dans une situation normale. Nous sommes dans une situation où des milliers de patients ont été traités (et sont encore traités), partout dans le monde, par hydroxychloroquine, un traitement dont on n’a pas de preuve d’efficacité. Donc, à défaut on peut étudier directement l’efficacité “en vie réelle”…
Et c’est ce qui a été fait.
Plusieurs études comparatives “en vie réelle” ont été publiées depuis des semaines (et notamment celle récente du Lancet à propos d’un nombre conséquent de malades (>96 000) de 671 hôpitaux sur six continents et évaluant chloroquine et hydroxychloroquine avec ou sans macrolides démarrées moins de 48h après le diagnostic de Covid-19 et comparées à un groupe contrôle)… elles vont toutes dans le même sens : pas d’efficacité de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine et il y aurait peut-être même plus de toxicité et une augmentation de la mortalité avec ces molécules.
Dans tous les cas, nous sommes loin de l’efficacité « spectaculaire » que les défenseurs de la molécule avaient suggéré au début.
Non, on n’a pas besoin d’essais cliniques randomisés (d’ailleurs l’OMS vient de stopper ceux qu’elle avait initié). Peut-être d’autres données de la vie réelle seraient les bienvenues pour rapporter les expériences des uns et des autres dans le monde, notamment pour avoir plus de données sur la tolérance mais pour le moment et sur les données disponibles, on sait que dans la vraie vie, des patients ont été traités, et qu’au minimum, ça n’a pas été efficace.
Et…
Pr Fadoua Allali a répondu ceci:
A date, les études publiées ou en prépublication, qu’elles soutiennent la thèse de l’hydroxychloroquine ou pas, sont de méthodologie faible, avec beaucoup de biais, et de questions autour du lobbying de l’industrie pharmaceutique. L’exemple le plus récent est l’étude du Lancet. Cette étude observationnelle à partir des registres de patients covid positif présente plusieurs biais (risque d’erreurs) et limites :
1/ Dans cette étude, ont été inclus des patients de plusieurs pays. On sait actuellement qu’il y’a 2 types de souches covid 19 de virulence différente dominante l’une ou l’autre selon les pays. Comment peut-on savoir si les patients qui ont pris l’HC, n’avait pas la souche la plus virulente. 17% des patients étaient des Américains, Or aux USA, la souche est virulente et on utilise l’HC dans le protocole. Ces patients ont de grande chance donc de se trouver dans le groupe traité. c’est ce qu’on appelle un facteur confondant : la mortalité serait due à la souche et pas à la prise de l’HC .
2/ 20% des patients qui étaient sous HC avaient des formes sévères vs 8% du groupe contrôle, un autre facteur confondant : c’est la sévérité plus importante de la maladie chez le groupe Covid : c’est la sévérité qui tue et non HC
3/ L’étude a montré que les patients sous HC avaient plus d’arythmie cardiaque et une mortalité jusqu’à 18 fois plus que le groupe contrôle. Or si on se compare à la vie réelle, depuis le temps qu’on utilise l’HC pour toutes les pathologies rhumatismales chroniques, les maladies de systèmes et la prévention de la malaria, si l’HC augmentait la mortalité, on l’aurait remarqué !!! D’ailleurs, l’ECG n’a jamais fait partie de l’examen pré HC. Est-ce que c’est l’interaction avec la maladie ? L’association avec les macrolides ? la forte dose (les auteurs ne parlent pas de la posologie et des protocoles de traitement)? ou juste une erreur d’appréciation. On ne le sait pas !!!
Ce qu’on sait : c’est que le débat n’est certainement pas clos. Si au début de la pandémie, on a accepté les résultats des études observationnelles du fait de l’urgence, actuellement seule une étude randomisée contrôlée double aveugle va répondre à ces questions. Il faut cependant espérer que cette étude inclurait la bonne population cible, cad les formes précoces et associerait les macrolides qui potentialiseraient l’effet de l’HC. A ce moment-là, que le résultat soit positif ou négatif, on sera fixé sinon, la rhétorique conspirationniste continuera à fleurir …..
J’ai eu beaucoup de réticence à aborder cette thématique vu toute la polémique qui l’entoure, mais finalement je suis contente de l’avoir fait en plein dans le thème EpiRheum « Epidémio & Rhumato » en espérant vous avoir suggérés des pistes de réflexion…
Un grand merci aux Professeurs Fadoua Allali et Abdellah El Maghraoui pour leur contribution amicale à ce post 🙂
D’autres critiques de l’article du Lancet sont disponibles sur le site de Sartorius et du collectif stopcovid19.
Je finirais par la citation de Albert Camus /L’homme revolté
“La logique des passions renverse l’ordre traditionnel du raisonnement et place la conclusion avant les prémisses.”
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Au plaisir de vous lire !